Le Fondateur du Mouridisme

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Cheikhoul Khadim

Les débuts du fondateur du Mouridisme:

Fils de Serigne Momar Anta Saly, Cheikh Ahmadou Bamba MBACKE Khadimour Rassoul (Serviteur du Prophète) -Paix et Salut sur lui est né à MBacké Baol vers 1270-1271 de l’Hégire      (1853 de l’ère chrétienne).

Sous l’ombre de son père, il a très tôt mémorisé le Coran et appris les règles de tajwid avant d’apprendre et de maîtriser les autres disciplines relatives à l’exégèse du Coran, à la Sunna, à la jurisprudence et à la langue arabe. Ses maîtres pendant cette période étaient son père, son oncle Serigne MBoussobé, Samba Touklor KA et le cadi Madiakhaté Kala.

Il a eu aussi, dans cette période, à faire des échanges avec des ouléma maures sur différentes questions scientifiques.

Son père l’a choisi comme assistant et, après la disparition de celui-ci, il lui a succédé dans sa fonction de dirigeant d’une école de grande renommée.

La genèse et les soubassements du Mouridisme:

La vie sociale et religieuse de cette époque était gangrenée par la corruption dans tous les domaines. Les rois avaient dépassé les limites du tolérable dans la tyrannie et l’injustice. De leur côté, la majorité des ouléma et des chefs religieux n’avaient pour souci que l’exploitation des masses au nom de la religion. Quant aux populations, elles étaient tiraillées en toute impuissance entre ces deux catégories.

Devant ces conditions, Cheikh Ahmadou Bamba a eu la conviction qu’il fallait plus que la seule instruction pour réformer la société. Par conséquent, il s’est résolu à utiliser une nouvelle méthode plus efficace qui n’était autre que l’éducation pratique basée sur un savoir sûr.

Les objectifs de la réforme et les principes qui la sous-tendent:

Il apparaît de ce qui précède que les objectifs se résument dans le fait de provoquer dans la société un changement radical qui touche les domaines aussi bien religieux que sociaux conformément aux enseignements de l’Islam.

Quant aux principes, ils sont fondés sur le Coran et la Sunna. Dans son poème intitulé              at- tawbat-un- nasûh (la repentance sincère), Cheikh Ahmadou Bamba évoque les principes                de sa réforme:

  • J’ai bâti mon obéissance [à Dieu] sur la conformité
  • au Coran, à la Sunna et au Consensus.
  • Mon Maître est Dieu, ma religion l’Islam
  • et mon imâm la Meilleure des créatures.
  • J’ai accepté l’Islam pour religion,
  • Mouhammad pour Prophète et Messager,
  • Son Livre pour guide
  • Et la Maison [la Kaaba] pour seule et unique direction.
  • J’ai accepté le Coran pour compagnon et guide;
  • c’est en le suivant que j’adore Dieu ma vie durant.
  •                                                               (…)
  • Mes imams en fiqh sont Malick l’éminent,
  • Châf’î, Abou Hanîfa et Ibn Hanbal.
  • Et dans son ouvrage bidâyat-us- sulûk (le début de l’engagement) il dit:
  • Je m’engage aujourd’hui à être le serviteur du Messager, l’Elu
  • et je prie Dieu de m’aider à remplir mon engagement.
  • Je m’engage devant Dieu à prendre le Livre
  • en étant au service de l’Elu qui est la porte de la droiture.
  • C’est en Dieu que je crois, et je me remets à Lui
  • en étant Son adorateur et le serviteur du Prophète.
  • C’est en Dieu que je crois et c’est sur le Coran
  • et la sunna du Messager de Dieu que je fonde mes actions.
  • (…)
  • Il m’est clairement apparu que l’attachement au Livre
  • et au hadîth du Messager de Dieu est la droiture.
  • (…)
  • S’est causé préjudice, celui qui ne s’attache pas
  • à l’anse la plus solide qui ne se brise jamais [le Coran].
  • La méthode d’éducation du cheikh:

A partir des principes évoqués plus haut, Cheikh Ahmadou Bamba a mis en place des centres d’éducation et d’enseignement dans différents endroits et les a confiés à ses grands disciples. Parmi ces centres on peut noter ceux de Tûbâ (Touba), Dâru-s- Salâm, Dâru-l- Mannân (Darou Marnane),      Dâr-ul- ‘Alîm-il- Khabîr (NDame), etc.

Dans ces centres, l’adepte recevait un enseignement théorique dans les domaines du tawhîd,     du fiqh et du tasawwuf) auprès d’un maître qui l’engageait en même temps à mettre la théorie en pratique. D’autre part, il y apprenait les métiers manuels sur lesquels reposait la vie d’alors. L’objectif du cheikh était de former des générations qui puissent compter sur elles-mêmes pour leurs besoins religieux et matériels et qui soient de bonne morale, loin des dérives et des bida’ (innovations).

  • O jeunes! occupez-vous de la droiture et du savoir
  • et ne vous occupez de rien d’autre.
  • Occupez-vous de la mémorisation et de la lecture
  • et évitez les assemblées qui mènent vers la perdition
  • (tazawwud-us- sigâr = Viatique des jeunes)
  • Que tout le monde sache
  • que celui qui va à l’encontre de la vérité sera maudit.
  • Et la vérité c’est de commencer par le tawhîd
  • puis le fiqh et ensuite le tasawwuf
  • En suivant la doctrine de ceux qui suivent la Sunna
  • et le Consensus; c’est cela la protection.
  • (Magâliq-un- nîrân = Les verrous de l’Enfer)
  • Châtiment à celui qui se penche vers la dérive
  • ou l’abandon de la Sunna du Prophète.
  • Quiconque, en matière de religion, ne suit pas le Messager de Dieu
  • est aveuglé et rencontrera la punition.
  • Evitez les passions et les innovations
  • et tâchez à tout moment de suivre la voie du Prophète

(Al jawhar-un- nafîs = La perle précieuse)

Son plan de réforme l’a amené aussi à adapter et versifier d’anciens ouvrages que les apprenants de son époque avaient du mal à comprendre pour diverses causes. C’est ainsi qu’il a adapté :

Umm-ul- barahîn de l’Imam As sanûsi (théologie) qui est devenu Mawâhib-ul- Quddûs

– Al Akhdarî de l’Imam Al Akhdarî (fiqh) qui est devenu Al jawhar-un- nafîs

– l’essentiel des références du tasawwuf qu’il a résumé dans Masâlik-ul- jinân

  • l’ouvrage de l’Imam Ad- dalhâjî (morale et bonne conduite) qui est devenu An- Nahj

De même qu’il a composé des livres dont chacun traite les trois parties de la religion              (al- îmân, al- îslâm, al- ihsân). Parmi ceux-ci: Tazawwud-us- sigâr, Tazawwud-ush- shubbân,    Jadbat-us- sigâr. Et le Cheikh a composé en vers la plupart de ses ouvrages pour les rendre plus attirants pour les apprenants de son temps.

Le cheikh face aux autorités coloniales:

Lorsque les prémices de sa réussite commençaient à se faire sentir, les autorités coloniales se sont mis à redouter ses activités et l’ont accusé de détention d’armes et de mobilisation pour déclencher la guerre contre elles. Ainsi, ses maisons ont été perquisitionnées de nombreuses fois sans trouver la moindre preuve. Malgré tout, les autorités coloniales ont décidé sa déportation. Il a été exilé au Gabon (1895 – 1902) et a subi toute sorte de pression et de torture dès la première nuit qu’il passa sur le chemin de l’exil.

  • Quand je me souviens de cette nuit- là,
  • de ce chef et de cette assignation,
  • je pense à prendre les armes
  • mais le Prophète prend ma défense

Tous ces agissements ne pouvaient fléchir sa détermination. Au contraire, il leur a montré sa position dès le début dans un poème qu’il a composé dans le bateau qui le transportait vers l’exil et qui reflète la force de sa foi et de sa confiance à l’assistance de Dieu, de même qu’il dévoile ses armes dans cette guerre dans laquelle il s’engageait et dont il sortira triomphant. Ces armes qui n’étaient autres qu’une foi sincère, une totale conformité à la Sunna du Prophète– Paix et Salut sur lui- et un tasawwuf pur.

  • O gens qui, par égarement, croient à la trinité
  • de Celui qui n’a ni enfant ni père!
  • Vous m’avez déporté en disant que je suis
  • un adorateur de Dieu et que je mène le jihâd.
  • Vous avez raison : je suis Son adorateur
  • et le serviteur du Prophète, l’illustre.
  • Et votre affirmation que je mène le  jihâd est exacte:
  • je mène le jihâd pour l’amour de Dieu le Très Haut.
  • Je mène le jihâd par les sciences et par la piété
  • en étant adorateur et serviteur, et Dieu le Prédominant est témoin
  • Mon sabre (…) c’est son tawhîd,
  • Mes lance-roquettes (…) le Coran,
  • Quant à mes flèches, ce sont les hadîth
  • Quant à mon espion, c’est un tasawwuf pur…
  • Si les ennemies ont des armes pour lesquelles ils sont redoutés,
  • les voici mes armes; et je mène le jihâd.

Fort de cette confiance, il voyait la Grâce de Dieu dans ces épreuves. Il a mis son temps libre à profit en composant des poèmes et en écrivant des lettres et des recommandations pour ses adeptes.       De même qu’il a profité de toutes les occasions pour appeler à l’Islam les habitants des lieux où il a été exilé. Un grand nombre d’entre eux ont ainsi embrassé l’Islam grâce à lui. Et son appel n’était pas exclusivement destiné aux autochtones, il l’adressait aussi à ses geôliers. Ecoutons-le s’adressant à ceux-ci:

  • O juifs et chrétiens!
  • Soyez alliés du Meilleur des messagers.
  • Repentez-vous à Dieu et cherchez la Guidance
  • auprès de Lui en suivant Ahmad [le Prophète].
  • La Thora et l’Evangile vous ont été destinés,
  • et Dieu vous a accordé à travers eux honneur et privilège.
  • Vous ne serez sur le Droit chemin si vous n’appliquez pas
  • la recommandation de Dieu qui favorise qui Il veut,
  • Si vous n’appliquez pas ce que Moise,
  • Jésus et Mouhammad l’Elu vous ont apporté de Lui.
  • Repentez-vous tous et précipitez-vous vers le Droit chemin,
  • car nous n’avons qu’à suivre Ahmad.

Constatant, après sept ans d’exil, que rien n’a changé de son attitude et de son influence,         les autorités coloniales ont décidé de tenter d’autres solutions en le ramenant au Sénégal. Quelques mois plus tard, il a été exilé de nouveau en Mauritanie avec la conviction que le complexe d’infériorité     vis-à-vis des maures, réputés pour leurs érudits et leurs hommes pieux, ne manquera de faire son effet. Mais leur surprise a été énorme lorsqu’elles se sont rendu compte du respect et de l’estime que les ouléma de ce pays manifestaient à son égard, eux qui étaient jadis les maîtres de ses ancêtres.

Constatant l’échec, encore une fois, les autorités coloniales ont décidé en 1907 de son retour au Sénégal où il a été assigné en résidence à Thiéyène dans le Djolof (1907-1912) puis à Diourbel dans le Baol (1912-1927).

L’étape de Diourbel peut être considérée comme la plus prospère et la plus fructueuse de sa réforme. Sa stabilité relative lui a permis la supervision directe du mouvement. C’est ainsi qu’il a construit une mosquée où il dirigeait les cinq prières quotidiennes et a planifié des horaires pour ses différentes tâches:

– des moments où il rencontrait les fidèles pour régler leurs problèmes et pour répondre à leurs interrogations;

– des moments de causeries réservés aux hommes et d’autres aux femmes;

  • des moments pour rencontrer les hôtes et les délégations.

La situation est restée ainsi jusqu’à son rappel à Dieu en juillet 1927, et il a été inhumé à Touba suivant sa volonté.

Les successeurs de Cheikh Ahmadou Bamba :

Le cheikh a été succédé par son fils aîné Cheikh Mouhammad Moustapha dont le souci principal était de réaliser la volonté de son père en construisant la mosquée de Touba. Pour ce faire, il a réussi à surmonter de nombreux obstacles colonialistes et à débuter les travaux de la mosquée dans des conditions très difficiles.

En 1945, Cheikh Mouhammad al- Fâdil (Serigne Fallou) est devenu le deuxième khalif. Il a achevé les travaux de la mosquée et y a nommé des enseignants. Cette mosquée reste de nos jours la plus grande mosquée de l’Afrique de l’Ouest.

Quant au troisième khalif, Cheikh Abdoul Ahad (1968-1989), il a réalisé l’extension et l’embellissement de la mosquée, fait interdire par la loi tous les aspects de débauche à Touba, mis en place une imprimerie pour l’édition du Coran et des œuvres du cheikh, construit et équipé une grande bibliothèque et entrepris la construction d’une université.

Cheikh Abdoul Khadir qui a été l’Imam de Touba depuis 1968 n’est resté au khilafa que pendant onze mois (juin 1989-mai 1990) durant lesquels il a continué d’exercer la fonction d’imam.   Sa principale préoccupation a été de rappeler les fidèles à un respect plus strict des enseignements de l’Islam.

Depuis 1990, Serigne Saliou est le khalif général des Mourides. Celui-ci continue l’œuvre de ses prédécesseurs avec un intérêt particulier à l’éducation et à la production.

Il est à noter aussi les efforts grandioses de Cheikh Mouhammad-ul- Murtadâ            (Serigne Mourtala) le fils cadet du cheikh dans le domaine de l’enseignement arabo-islamique et dans le domaine de l’expansion de l’Islam en Occident. Celui-ci a fondé les Instituts Al Azhar qui se comptent aujourd’hui par centaines un peu partout au Sénégal et dans certains pays africains. D’autre part, il effectue depuis une douzaine d’années des visites annuelles dans des pays occidentaux       (Etats Unis, France, Italie, Espagne, Allemagne, Belgique) pour rencontrer aussi bien les ressortissants sénégalais que les musulmans nationaux qui ont, pour une grande partie, embrasser l’Islam grâce à ses efforts.

La ville de Touba, capitale des mourides :

Au début de sa réforme, le cheikh avait besoin de temps en temps de se retirer pour méditer      et accomplir des actes de piété. Touba a été choisi dans ce cadre avant de devenir l’un des centres d’éducation évoqués plus haut.

Pour son fort attachement à cette localité, le cheikh a défini ce que devra être le comportement de ses habitants. Dans le poème Matlab-ul- fawzayn que d’aucuns considèrent comme le projet de Touba, il dit:

  • Mon Dieu, fais de ma demeure Touba
  • à l’image de son nom par considération au Prophète.
  • Je Te prie de faire d’elle une demeure pour la piété,
  • le savoir et l’ascension spirituelle;
  • Je Te prie de faire d’elle un lieu d’obéissance au Très Miséricordieux
  • et un échappatoire à Satan le maudit
  • (…)
  • Fais d’elle en permanence une demeure pour l’apprentissage,
  • un endroit pour la méditation et la réflexion
  • Et une demeure pour l’orientation et l’instruction
  • Fais d’elle une demeure où l’on sort des ténèbres
  • vers la Lumière, et préserve-la de tous les transgresseurs.
  • Je Te confie à jamais ma personne, ma religion, les miens et ma demeure.
  • Le grand Magal de Touba:

L’historique:

L’exil du cheikh, les épreuves qu’il a eu à subir, l’échec des autorités coloniales quant à leurs tentatives de le dévier de ses objectifs, les effets positifs de cet exil sur son appel- tout cela représente sans doute une victoire pour lui et pour les principes qu’il incarnait.

Conformément à son habitude de manifester sa gratitude envers Dieu au moment de réalisation d’un vœu ou d’éloignement d’un mal, il a consacré le 18e jour du moi de safar (l’anniversaire de sa sortie de Mbacké Bary et de son arrestation) jour de davantage d’actions de dévotion à Dieu et              a demandé à ses adeptes et à tous les musulmans de faire autant en guise de rendre grâce à Dieu.

Le jour du Magal chacun accomplissait, là où il était, des actes de dévotion qu’il pouvait (lecture ou récitation du Coran, prières pour le Prophète, rendre visite aux proches, donner de la charité…) sans rassemblement. C’est le 2e khalif qui a eu l’idée, vers la fin des années quarante,          de réunir les adeptes à Touba à cette occasion pour pouvoir les rencontrer et discuter avec eux des questions qui concernent la communauté mouride en particulier et les musulmans en général.

Ce que les fidèles tiennent à faire durant le Magal:

Dans le cadre des actions de piété signalées plus haut (lecture ou récitation du Coran, prières pour le Prophète, rendre visite aux proches, donner de la charité…), les adeptes tiennent plus particulièrement à accomplir les actions suivantes:

1- Lire, réciter et/ou chanter les poèmes du cheikh à l’honneur du Prophète- Paix et Salut sur lui

2- Dépenser dans la voie de Dieu sous deux formes:

– les hadaya (dons): contributions des adeptes aux projets de l’intérêt général. Ce sont les dirigeants de la confrérie qui les reçoivent;

– les aumônes: sont versées dans des caisses spéciales et sont distribuées aux pauvres et aux nécessiteux après le Magal.

3- Recueillir auprès du mausolée du cheikh et de ceux de sa famille et de ses disciples

4- Visiter les lieux touristiques à Touba.