Historique du Grand Magal de 18 Safar
Commémoration du départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba
Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux
Que la Paix et le Salut d’Allah soient sur le Prophète Mouhammad, sur sa Famille et ses Compagnons ainsi que sur son Serviteur :
Introduction
A chaque nation ses fêtes qui marquent les grandes dates de son Histoire. Dans l’un de ses discours Serigne Fallou MBACKE, qu’Allah Soit satisfait de lui, disait : “Toute personne ayant des connaissances de l’Histoire, si peu que ce soit, saurait pertinemment que célébrer certains jours est une pratique que toutes les religions ont en commun depuis la nuit des temps jusqu’à nos jours.”
L’Islam ne déroge pas à la règle. Les Musulmans commémorent, en effet, certains jours à travers diverses formes d’actes de dévotion : Echange de visites et de charité mutuelle, expression de joie dans le but de rendre grâce à Allah.
Pour les Mourides, le Magal1 est la plus importante fête qui leur est propre. Il est célébré le 18e jour du mois lunaire de Safar (2e mois du calendrier islamique) qui marque le départ en exil de Serigne Touba, en 1895.
Chapitre premier
Définition et origines du Magal :
Par Magal l’on entend la célébration annuelle du 18 Safar ; à travers les différentes formes d’action de grâce symbolisées par les festins organisés à l’honneur des hôtes, communément appelés « berndé » et tout autre acte d’adoration dont le but est d’exprimer sa gratitude à Allah pour les innombrables bienfaits dont Il a comblés Cheikh Ahmadou Bamba et l’ensemble des Musulmans de manière générale.
“[…] le Cheikh m’a, un jour, expliqué que toutes les grâces divines, les dons sacrés dont Dieu l’a gratifié et, par conséquent, tous les bienfaits que nous, autres disciples, avons obtenus grâce à lui (le Cheikh)… sont à mettre au crédit de cette journée bénie » dixit Serigne Moulaye Aliou Bousso2, que son âme repose en paix.
Chapitre II
La Déportation ou le voyage en mer 3
1C’est sur instruction du Cheikh lui-même, Soucieux d’éviter toutes formes d’hérésie ou d’innovation (bidʻah) que ce nom a été donné à la fête ; certains disciples l’appelaient déjà « 2e tabaski”
2 Fils d’Elhadji Mbacké Bousso, né en 1896. Grand érudit mouride, il s’établit à Diourbel en 1922, sur ordre du Cheikh et y resta en tant qu’enseignant des sciences islamiques jusqu‘à la fin de ses jours 1984.
3Le Voyage en mer est le terme employé par le Cheikh pour évoquer la période qu’il a passé, en tant que déporté, au Gabon (1895 – 1902). En revanche, le voyage terrestre fait référence à la période d’exil forcé qu’il purgea en Mauritanie (1903 – 1907) : Rawdu-r Rayahin, Enseignements tirés du Voyage en mer, Grande
Peu de temps après le lancement de l’Appel 4 à Mbacké Kadior5, le Cheikh s’est rendit, tour à tour, à Mbacké Baol où il résida deux ans, puis à Darou Salam6 avant de séjourner, à partir de 1888 (1306 de l’Hégire) à Touba7 durant sept années. Sur ces entrefaites, les déplacements des Mourides qui accompagnaient le Cheikh à la recherche d’un lieu propice à leur éducation spirituelle suscitaient l’inquiétude de l’Autorité coloniale qui cherchait d’arrache-pied à consolider son emprise sur toute l’étendue du pays. Ainsi gênés, eux aussi, par ces nombreuses pérégrinations et l’allégeance massive à l’Appel du Cheikh, certains chefs traditionnels et religieux se mirent à le calomnier auprès des Autorités coloniales pour leur faire croire qu’il (le Cheikh) avait l’intention de proclamer le djihad contre les Français lorsque l’occasion se présenterait.
A peine installé à Mbacké Bary8, les Autorités coloniales le convoquèrent en 1313 de l’Hégire (5 septembre 1895) à Saint Louis du Sénégal.
En sus des causes visibles précitées, il en existe d’autres ésotériques et spirituelles qui expliquent la déportation du Cheikh.
Il dit : «… Au moment de mon départ j’avais déjà accédé aux stations les plus élevées [dans la marche] des hommes de Dieu en termes de l’Iman (foi), l’Islam (pratiques cultuelles) et l’ihsan (perfection spirituelle). Il y avait, néanmoins, quelque chose qui me préoccupait, perturbait mes nuits et m’était insupportable ; à savoir la perfection de la foi, c’est-à-dire la connaissance de Dieu à Sa juste Dimension, la perfection de l’Islam, soit la Certitude (al- yaqin) et la perfection de l’ihsan, ou l’accession dans l’Enceinte de Dieu. Je n’ai pas pu gravir tous ces échelons qu’après avoir vécu [au sein des associateurs] alors que vivre avec eux fait partie des causes sous-jacentes de la déchéance de la foi, qu’Allah nous en préserve ».
Il passa plus de cinq années au Gabon pendant lesquelles il subit tortures et supplices « dont la douleur n’a d’égal que celle ressentie par le mourant lorsque son âme se sépare de son corps ». Mais Allah qui prend la défense de ceux qui croient l’a délivré de leur emprise et préservé contre leurs stratagèmes. Il les a renvoyés bredouilles, avec leur rage, et a jeté l’effroi et la
conférence du Magal 1439H, préparée par Serigne Affé Ahmadou NIANG en collaboration avec d’autres chercheurs
4 Début du Mouridisme
5 Village situé à quelques kilomètres e Louga
6 Village fondé par Cheikh Ahmadou Bamba en 1886 et qui est aujourd’hui considéré comme un quartier de Mbacké Baol
7 Capitale du Mouridisme
8 Village, situé dans la région de Louga à 60 km de Touba fondé par Mame Maharm Mbacké, l’ancêtre des Mbacké. Serigne Touba reconstruit le village en 1895.
crainte dans leurs cœurs. Ainsi, Ils (les colons) ont décidé de le rapatrier, pour qu’enfin il retourne aux siens sain et sauf, triomphateur. Il arriva à Dakar le mardi 9 shânbân, correspondant au 11 novembre 1902.
Chapitre III
Premier ordre de célébration du Magal :
Après plus de 20 ans de persécution et sévices indicibles endurés de la plus belle des manières en s’en remettant au Décret divin, ce qui lui a valu d’accéder à toutes ses aspirations divines, Allah lui inspira que le temps des épreuves était révolu et avait laissé place à celui de la Récompense pour le djihad mené et toutes les autres actions accomplies.
Il donna, ainsi, à tous les disciples l’ordre de perpétuer la commémoration du dix-huitième jour du mois de safar pour rendre grâce à Allah de tous les bienfaits apparents et cachés dont Il l’a comblé, grâce à l’Exil.
Chapitre IV
Histoire de l’Ordre :
Les avis des Historiens divergent sur la date à laquelle le Cheikh donna aux Mourides l’ordre de célébrer la journée du dix-huit safar.
Selon l’érudit Serigne Moulaye Aly Bousso –Qu’Allah ait pitié de son âme- l’ordre fut donné en 1341 de l’Hégire (1922).
« A l’approche de la journée, dit-il, alors que la célébration de l’anniversaire du départ en exil n’était pas encore décrétée, mon frère Mouhammad BOUSSO9, m’envoya offrir une chèvre au Cheikh. Celui-ci, à son tour, me dit de l’échanger contre un bélier et de garder ce dernier chez moi jusqu’au 18 safar. Le jour Arrivé, il me chargea d’immoler l’animal en guise de célébration de la journée. Ce que je fis. Le Cheikh m’expliqua ensuite que tous les bienfaits divins, les dons sacrés dont Dieu l’a gratifié et, par conséquent, tout ce que, nous autres disciples, avons eu de lui (le Cheikh) l’ont été grâce à cette journée bénie”.
9 Fils ainé d’Elhadji Cheikh Mbacké Bousso, Cheikh Mouhammad Bousso est né en 1888. Il fut un érudit soufi qui accompagna le Cheikh pendant un moment avant de s’établir à Touba-Guédé où il fut enseignant jusqu’à sa mort en 1971
Pour l’Imam et l’érudit Serigne Habibou Mbacké10, qu’Allah lui fasse miséricorde, l’ordre est tombé en mois de safar 1337 de l’Hégire (1918).
Quant au poète prolifique et historien hors pair, Serigne Moussa KA11 qu’Allah lui fasse miséricorde, il soutient que c’est en 1339 de l’Hégire (1920) que l’ordre fut donné.
Par conséquent, nous considérons que la version la plus plausible est celle soutenue par l’Imam Serigne Habibou, pour les raisons ci-après :
1- Serigne Habibou indique qu’il a été témoin du premier ordre donné par le Cheikh à Diourbel. L’année qu’il a avancé (1918) est antérieure à celles données par les Cheikhs Moulaye Bousso et Moussa KA, soit respectivement 1920 et 1922.
Dans son entretien l’Imam Serigne Habibou tient des propos qui ont été corroborés par d’autres versions faisant état de l’ordre que le Cheikh aurait, la même année, donné à son disciple Serigne Balla Faly DIENG. Pour ceux qui voudraient le consulter, l’enregistrement sonore de l’entretien de Serigne Habibou est disponible auprès des auteurs du présent document.
2- Selon toute vraisemblance aucun des trois n’a voulu situer dans le temps le tout premier ordre prononcé par le Cheikh, mais parle plutôt de la date à laquelle cet ordre lui est parvenu directement du Cheikh ou par intermédiaire d’une tierce personne.
3- Plusieurs disciples auraient, séparément, reçu du Cheikh la recommandation de célébrer l’anniversaire de son départ, et chacune d’entre elles croit être la première à l’avoir reçue. Toutefois, quelles que soient les divergences d’avis sur la date exacte, tous sont unanimes sur le lieu ; Diourbel12.
Cheikhoul Khadim convoqua son disciple Serigne Balla Faly DIENG13, qu’Allah lui fasse miséricorde, et lui enjoignit de porter l’ordre de commémorer l’anniversaire de son départ en exil, à tous les Mourides notamment aux Cheikhs et dignitaires.
10 Habiboullah fils d’Ibrahim fils de Habibullah Mbacké (1907-2005), grand érudit mouride qui fut le formateur de nombreux savants et érudits.
11 Cheikh Moussa KA fils de Ousmane KA (1890 – 1964) une des grandes figures de la Mouridiya et l’un des plus célèbres poètes sénégalais d’expressions wolof. Il est l’auteur d’un recueil de poèmes en wolofs sur des thèmes diversifiés.
12 Ville située dans le Baol, à 150 km de de la capitale Dakar. Le Cheikh y fut assigné à résidence pendant 16 ans jusqu’à son rappel à Dieu
13 13 Serigne Balla Faly DIENG (1856 – 1940), fait partie de la première génération de disciples éduquée par le Cheikh lui-même
Tous les disciples commencèrent, depuis, à se conformer à la volonté du Cheikh, chacun chez lui et selon ses moyens : qui sacrifiaient un bélier, qui une chèvre…etc. Chaque année ils organisaient des festins dans l’intention de rendre grâce à Allah et d’exprimer leur joie à l’occasion de ce grand jour. A la disparition du Cheikh, qu’Allah soit satisfait de lui, le 19 muharram 1346, correspondant au 18 juillet 1927, les Mourides perpétuèrent cette tradition durant le Califat du fils et disciple du Cheikh, Serigne Mouhamadoul Moustapha qui, à son tour, disparut le 3 shaaban 1364 (14 juillet 1945).
Chapitre V
Appel à la célébration du Magal à Touba :
A l’approche du deuxième anniversaire de son accession au califat Serigne Fallou lança à tous les disciples mourides un appel solennel les invitant à se rendre à Touba le 18 safar 1366 (samedi 11 janvier 1947). Ce fut la première fois que les disciples se réunissent à la ville sainte pour célébrer en communion cette journée qui marque le départ du Cheikh de Mbacké Bary en direction de Saint Louis pour répondre à la convocation du gouverneur français. Ce fut un jour de 18 safar de l’an 1895. Cette convocation fut le début de toutes les péripéties qui lui ont valu sa déportation que, lui-même, appellera le voyage en mer.
C’est, en l’occurrence, cet évènement que les Mourides appellent communément « la Grande fête = màggal gu mag gi en wolof).
A cette occasion Serigne Fallou prononça un discours dans lequel il dit, entre autres points :
“[…] Sachez que Serigne Touba, pour rendre grâce à Allah des bienfaits dont Il l’a gratifié, a recommandé à tous les Mourides de commémorer le jour où il quitta le Djolof, point de départ de son Voyage béni pendant lequel il accéda à toutes les stations (maqamat) et dignités (karamat) apparentes et cachées. Il est du devoir, donc, de tout disciple qui aspire au bien de se plier à cet ordre clair et sans équivoque. Par ailleurs, réaffirmant cette recommandation du Cheikh, je vous enjoins de faire le déplacement à Touba, la ville protégée, afin de célébrer ensemble cette journée dans le but d’obtenir sa satisfaction pour avoir apporté notre pierre à l’édifice qu’il a érigé. Osons espérer qu’Allah vous en accordera le bonheur des deux Mondes ! À condition que la fête ne soit pas entachée d’actes blâmables ou d’amusement [prohibés par la Religion]. Célébrez-la, donc, par la lecture du Coran, l’invocation d’Allah, la lecture des écrits du Cheikh (qasaaid), la préservation des liens de parenté (silat Rahim = jokku mbokku) les visites auprès des personnes pieuses entre autres actes louables”.
A travers cette brève allocution, Serigne Fallou nous a expliqué la manière dont le Magal doit être célébré, à savoir lecture du Coran et des écrits des (qasaaid), invocation d’Allah, préservation des liens de parenté (silat Rahim = jokku mbokku) le fait d’effectuer des visites auprès des personnes pieuses. A cela s’ajoutent les festins préparés à l’honneur des invités.
Voilà, chers lecteurs, l’historique du grand Magal du 18 safar, nous avons vu la définition, les origines, l’appel de Serigne Fallou… etc.
Nous implorons le Tout-puissant d’agréer notre œuvre, de nous combler de sa Bénédiction et de nous accorder le bonheur des deux mondes.
Que la Paix et le Salut d’Allah soient sur son Prophète Mouhammad, ainsi que sur sa Famille, ses compagnons et tous ceux qui suivent leur trace jusqu’au Jour de Rétribution.
Auteurs:
Affia Ahmad NIANG
Mouhammad Kandji
Cheikhouna DIATARA, qu’Allah lui accorde sa miséricorde